Alison Rapp ou comment les trolls sont devenus rois

/ Article - écrit par Guillom, le 19/05/2016

Tags : jean france etat sont francais politique jeux

Cher joueur de jeu vidéo, tu veux déchaîner librement ta frustration ? Tu veux harceler des femmes parce que tu penses qu’elles empiètent sur tes plates-bandes, nos platebandes ? Ne réfléchis pas, engage-toi en politique et casse-toi pôv con !

Cette « affaire » aurait pu passer totalement inaperçue. Une simple histoire de localisation, d’un jeu dont le contenu est adapté aux pays dans lesquels il est commercialisé… Xenoblade Chronicles X, version américaine, est présentée par Nintendo en novembre 2015. Très vite, certains joueurs s’aperçoivent que certaines tenues « légères » disponibles dans la version nipponne ne le sont pas aux Etats-Unis. En outre, impossible de modifier la taille de poitrine des personnages, alors que les Japonais, eux, le peuvent. Quelques uns hurlent immédiatement à la censure. Nintendo tempère en expliquant qu’il s’agit tout simplement d’un choix de localisation, afin d’éviter les problèmes de classification dans une Amérique toujours aussi puritaine en ce qui concerne la nudité. Voilà, fin de l’histoire, ça se tasse et tout le monde peut tranquillement profiter du gameplay


DR.

 

Malheureusement, ce happy ending n’a pas eu lieu. Au contraire, une bruyante minorité, se réclamant en partie du Gamergate, exigeait la tête du responsable de cette « censure ». Soit l’intégralité des développeurs de la branche américaine de Nintendo. Par chance, il trouve vite le bouc émissaire idéal. Elle est jeune, sans doute imprégnée de culture geek, porte un anneau nasal et surtout emploie sur Twitter un champ lexical féministe. Alison Rapp, un coupable parfait. Au détail près que cette employée de Nintendo of America travaille au marketing du groupe : rien ne la lie à la localisation de Xenoblade, ni à son contenu. Mais l’occasion est trop belle et les joueurs frustrés se lancent dans une bien jolie campagne diffamatoire. 

Harcèlement

Qui monte d’un cran lorsqu’ils mettent la main sur un essai écrit par Alison Rapp consacré aux lois relatives à la protection de l’enfance au Japon. Elle y appelle les autorités à ne pas renforcer les lois anti-pédopornographie. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle soit érigée en pédophile, quelques-uns allant jusqu’à obtenir le soutien de plusieurs associations américaines de protection de l’enfance. Leur objectif : obtenir son licenciement. Et accessoirement la harceler quotidiennement. Évidemment, aucun de ces sinistres abrut... euh personnes mal renseignées n’a lu l’essai en question. Allison Rapp met évidemment l’accent sur la protection de l’enfance : elle ne fait que souligner des exceptions culturelles japonaises et les défendre. 

Pour des mecs se disant sans doute fans du Japon et de sa grande liberté de mœurs (à ce niveau), voilà un bien beau paradoxe. Mais ils s’en foutent, nos champions, ils foncent. Et voilà qu’ils exhument d’Internet sa vie privée, ses messages, ses publications… Pendant ce temps, Nintendo se la joue sage en haut de sa montagne et reste silencieux. Quand les associations de protection de l’enfance montent au créneau, l’entreprise met Alison Rapp au placard, celle-ci n’intervenant plus publiquement au nom de la société. Soudain, le 30 mars 2016, victoire ! elle se fait virer.


DR.

 

Pas pour ses accointances pédophiles : son licenciement est provoqué par un autre motif, également lié à l’affaire puisque ce sont nos Gamergateux qui l’ont découvert. 

Quand Nintendo réagit enfin…

« Alison Rapp a été licenciée en raison de la violation d'une politique interne de l'entreprise impliquant la tenue d'un deuxième emploi en conflit avec la culture d'entreprise de Nintendo » explique Nintendo. Qui souligne dans son communauté qu'il n'approuve pas le harcèlement dont son employée a été victime. Que de courage, que d’audace ! Alison Rapp occupait effectivement un second emploi, anonymement et au noir. Aux Etats-Unis, il faut bien rembourser ses prêts étudiants. Les haters ont gagné, elle continue à recevoir des messages haineux et le géant nippon sort du débat sur la pointe des pieds. 

La sympathique entreprise familiale, vaut-elle mieux que les Gamergateux et autres trolls ? À aucun moment le groupe n’a soutenu sa salariée. Il s’est contenté de s’en débarrasser à la première occasion de sorte à éviter d’être un dommage collatéral de l’affaire. Soyons honnêtes : je n’approuve pas la localisation des contenus, qui ampute un jeu au nom du respect de nos propres représentations culturelles. Rappelez-vous, tout est parti d’un problème de localisation, vite oublié au profit du bashing en règle d’une personne sans rapport avec ladite affaire. Au prétexte que c’est une femme et qu’elle défend la cause des femmes. Qu’elle est plutôt mignonne, ce qui en fait d’office une fake geek girl. Qu’elle bosse dans l’industrie du jeu vidéo. Alors que le jeu vidéo acquiert de plus en plus de légitimité, ce genre d’histoire nous fait passer, nous joueurs, pour une bande de gros cons. 

------------

Le #Gamergate, c’est quoi ? 

Difficile de définir le Gamergate. En ce qui nous concerne, nous en serions bien incapables. Certains les désignent comme une communauté, d’autres comme un amoncellement disparate d’individus, on entend même parler ici et là de mouvement. Une chose est sûre, ceux qui se réclament du Gamergate n’apprécient guère les féministes. Le Gamergate est apparu lors de l’affaire Zoé Quinn (on y reviendra). Qui sont-ils ? Des « gamers » défendant le jeu vidéo comme un lieu d’expression libre, dérivant généralement vers un sexisme exacerbé. Car ces dangereuses féministes, au prétexte de la dignité humaine et des droits de la femme, osent s’en prendre en horribles moralisatrices au dernier bastion du masculinisme. Oui, pour le Gamergate, jeu vidéo = couilles. Sexiste, le Gamergate l’est. Organisé, beaucoup moins. Sans doute ne s'agit-il que de trolls sortant de leur caverne à chaque débat liant femmes et jeu vidéo. Soit un défouloir bien plus qu’une communauté. Est-il utile au débat sur la place de la femme dans l’industrie du jeu vidéo ? Pas vraiment… D’autant qu’il est souvent instrumentalisé, un épouvantail tuant toute discussion rationnelle.