Killer7 - Test
Jeux Vidéo / Critique - écrit par kenji, le 09/10/2005 (Tags : killer video news smith jeux test switch
Prévu à la base uniquement sur Game Cube et maintes fois repoussé, Killer 7 avait tout pour intriguer notamment par son design très particulier. Produit par Shinji Mikami, papa des Resident Evil entre autres, et tout droit sorti du cerveau très tordu de Suda 51, homme très connu au Japon pour ses jeux expérimentaux fort originaux, on se demandait si le jeu n'allait pas être un énorme pétard mouillé tellement les choix artistiques, révélés au fur et à mesure, pouvaient surprendre.
Le jeu Caméleon
Le jeu nous plonge dans la peau d'un tueur aux multiples personnalités travaillant pour le gouvernement américain. Le contexte politique est ici très important et on a droit à énormément de références à des situations actuelles ou passés. Pourtant ce contexte et l'intrigue qui en découle sont tous deux extrêmement bien pensés et un réel soin a été apporté à cette facette d'un jeu qui comporte presque autant de personnalités que le héros mais on abordera cet aspect plus en profondeur un peu plus tard.
Démonstration esthétique
La première chose qui frappe une fois le jeu lancé, c'est son aspect visuel. Les développeurs ont utilisés la technique du cell-shading de manière fort inhabituelle à contrario de l'aspect mignon de Zelda Wind Walker et autres Sly Racoon : en effet, ici le rendu est extrêmement mature, notamment grâce à un travail très élaboré sur les ombres, et fait penser à un des épisodes d'Animatrix du réalisateur Yoshiaki Kawajiri «Programme »dans lequel deux personnages se battent dans une matrice retranscrivant un univers féodal japonais. Le style est assez dépouillé, les décors plutôt vides et carrés et le sang omniprésent n'a jamais été aussi esthétique. Les graphismes sont ici au service de l'ambiance et de l'univers et le résultat est bluffant de crédibilité et de classe esthétique. Rien que sur ce plan, le jeu est une véritable prouesse et offre une nouvelle dimension à l'esthétisme vidéoludique.
Un gameplay old-school fort plaisant
Le deuxième aspect déroutant est le gameplay et la maniabilité : ici, pas de fioriture, le héros est guidé sur des rails, on appuie sur une touche pour avancer et lorsqu'un nouveau chemin empruntable se présente ou qu'une interaction avec un objet ou personnage est possible, l'écran l'indique et on oriente le joystick pour valider son choix. Lorsqu'on entend un rire, on appuie sur la gâchette pour passer en vue subjective pour shooter son ennemi. On a l'impression de retourner 10 ans en arrière avant l'apparition de la 3D mais c'est pourtant hyper agréable et en phase à 200% avec le jeu.
De plus, ce gameplay apparemment simpliste comporte beaucoup de subtilités : les ennemis possèdent ainsi un point faible aléatoire, visible après les avoir scanné avec l'autre gâchette, qui permet de les tuer en un tir. Ca paraît bien simple mais en pratique, c'est loin d'être aussi évident. En effet, les différentes personnalités ont plusieurs niveaux de puissance de feu, de précision et de vitesse de tir que l'on peut débloquer avec le sang acquis après avoir tué des ennemis, de préférence en leur explosant les membres ou en visant leur point sensible. Ainsi, nos avatars sont très mauvais au début et vont gagner en puissance au fur et à mesure en récoltant le précieux liquide vital. Il y a d'ailleurs deux types de sang : le sang permettant d'upgrader ses personnalités comme on vient de le voir et le sang stocké dans des éprouvettes permettant de se soigner ou d'activer des capacités spéciales propres à chaque personnalités.
En boostant les capacités des personnalités, on débloque en plus des « coups spéciaux » souvent fort utiles.
D'ailleurs parlons un peu du héros très particulier : on incarne les Killer 7 qui sont en fait les sept personnalités physiques d'un seul homme : Harman Smith. On peut switcher entre elles selon la situation et leur upgrade se fait par l'intermédiaire d'une télé présente dans toutes les chambres.
- Harman Smith est le big-boss, c'est un vieil homme sage en chaise roulante possédant un énorme lance-roquette comme arme et que l'on incarne très exceptionnellement.
- Garcian Smith est le leader en mission. Son importance va être primordiale à la fin de l'aventure et il sert à ressusciter les personnalités mortes au combat.
- Dan Smith est le perso classe par excellence : arrogant, sûr de lui, il porte un gun sur son épaule et peut lâcher un tir spécial surpuissant indispensable contre un type d'ennemi. C'est aussi le meilleur personnage pour le combat.
- Kaede Smith est la seule personnalité féminine. Elle dispose d'un gun pouvant zoomer ce qui est fort utile dans beaucoup de situations et dispose du coup spécial le plus classe et esthétique du jeu : elle s'ouvre les veines dans un geyser de sang et un espèce de fantôme apparaît pour détruire certaines barrières invisibles.
- Kevin Smith est le perso le plus discret, il n'apparaît et ne parle dans aucune cinématique. Il est très véloce et peut lancer des couteaux pas très puissants mais très précis à volonté ce qui lui permet de viser plus facilement le point faible des Heaven Smile. Sa capacité spéciale le rend invisible et permet de passer au travers des ennemis ce qui est extrêmement utile quand on est en galère.
- Coyote Smith est le voleur de la bande et il peut sauter très haut pour atteindre des plates-formes inaccessibles et crocheter des serrures. Par contre, il manque vraiment de précision en combat mais son gun est assez puissant.
- Con Smith est le plus jeune. Il est aveugle et dispose donc d'une ouie surdéveloppée. Il est aussi très rapide et dispose de deux guns lui permettant de mitrailler sans relâche ses adversaires : il est donc très bon en combat mais peu résistant.
- Mask Smith est le gros bourrin de base, catcheur de surcroît. Il possède deux lance-grenades puissants mais longs à recharger et peut se servir de sa puissance de feu et physique pour détruire des murs ou certains obstacles obstruant la route. Il est le seul perso qui gagne plus tard d'autre tenues lui permettant d'être plus puissant.
Les ennemis, baptisés Heaven Smile dans le jeu, gagnent aussi en variété au cours de l'aventure et on en compte ainsi une vingtaine différents possédant des particularités propres nécessitant des techniques d'approche variées et adaptées.
Enfin, en dehors des nombreuses phases de combat, la partie aventure est très agréable et est souvent basée sur l'utilisation d'une capacité d'un personnage ou d'un objet à un endroit précis. Ca paraît limité mais la progression sur des rails permet d'aller droit au but et de ne pas chercher à ouvrir des portes fermées ou parler à des personnages qui n'ont rien à dire comme dans beaucoup de jeux d'aventure. De plus, quelques énigmes sympathiques agrémentent l'exploration pour apporter un peu plus de variété à l'ensemble.
Un univers hallucinant, insolent d'excellence et de maitrise
Le troisième point fondamental de Killer 7 est la qualité de son scénario et de sa mise en scène ainsi que l'univers du jeu complètement en phase avec l'aspect graphique et le gameplay cités plus haut. L'intrigue mêle habilement des éléments politiques, économiques, sociologiques, fantastiques et bien d'autre choses encore. Les scènes cinématiques utilisant le moteur du jeu ou type dessin animé sont superbement mises en scène de manière très cinématographique mais sans fioriture avec effets de bullet time de folie ou autre. Tout est ici extrêmement cohérent, soigné tellement même que l'on est plus en face d'un « vulgaire jeux-vidéo ».De plus, la qualité des doublages américains est fantastique et contribue à donner un véritable charisme aux personnages principaux et secondaires du jeu. Les musiques et bruitages ne sont pas en reste et côtoie eux-aussi l'excellence pour plonger le joueur dans des ambiances très variées. Pour rajouter une couche à cette fresque presque surréaliste, l'univers est très original, prenant, cohérent, personnel, tripant, complètement barré, intelligent, complexe, violent... les adjectifs élogieux sont encore foison tellement la liste est longue et l'univers incroyablement fouillé et vaste.
Suda 51 a inventé un monde complètement hallucinant qui marque au moins autant que lorsqu'on découvre un excellent film de Tarantino ou Lynch. D'ailleurs, même si l'univers est complètement différent, on a quelques ressemblances avec le film de Lynch Mulholand Drive notamment l'alternance réel/fantastique très ambiguë, le mystère planant sur bien des éléments du récit, tout n'est pas dévoilé et cela laisse une énorme marge d'interprétation au joueur.
De plus, les personnages rencontrés tout au long de l'aventure renforce l'immersion dans cet univers complètement hallucinant et halluciné. On a, par exemple, Iwazaru, sorte de sadomazo kitch débarquant de nulle part suspendu à un fil ou encore Travis, personnage très mystérieux connaissant énormément de choses sur le passé du héros et les magouilles politiques. Ces personnages rencontrés dans les phases de jeu sont d'ailleurs des fantômes et lorsqu'il parle la voix ressemble à celle d'une personne ayant eu un cancer de la gorge et ne s'exprimant plus avec ses cordes vocales mixée avec un son robotique.
Finalement, ça faisait très longtemps que je n'avais pas été pris dans un univers aussi immersif dans lequel les surprises sont légions et dont on a plus envie de décrocher.
Une version Playstation 2 pas assez peaufinée
Le jeu a tout de même quelques défauts, syndrome inhérent à la nature humaine malheureusement. Le système de visée manque un peu de précision, des ralentissements sont présents si on utilise Con Smith et qu'il y a plus de deux ennemis présents à l'écran mais surtout des temps de chargement incessants et beaucoup trop longs. Ces deux derniers défauts sont présents uniquement sur la version Play2 et je ne peux que recommander chaudement la version Game Cube tant les loadings sont encore plus insupportables que dans d'autre jeux.
Autre point assez gênant : la difficulté mal dosée. Les systèmes de jeu étant tellement déroutant au début, le mode Hard est trop difficile mais une fois ceux-ci bien assimilés, le mode Normal est souvent trop facile avec des ennemis assez faibles et moult indications pour faciliter la progression. Si vous avez la version Play2, privilégiez le mode Normal car lorsque l'on meurt, on retourne automatiquement à la chambre, on prend Garcian Smith, on retourne là où la personnalité est morte, on la ressuscite puis on revient automatiquement à la chambre et on peut enfin repartir. Tout ceci est entrecoupé de temps de chargement juste insupportable pouvant faire péter un plomb aux joueurs les plus patients. Par contre, si vous avez la version Game Cube, prenez le mode Hard, les temps de chargement étant beaucoup moins présents.
Ensuite, on peut noter quelques « lourdeurs » d'un point de vue ludique comme le système de résurrection des personnalités cité plus haut obligeant à divers aller-retour mais qui servent à proposer l'univers le plus cohérent possible et que l'on pardonne bien vite une fois immergé dans le trip. L'aventure est d'ailleurs tellement prenante que le jeu paraît un peu court.
Conclusion
J'arrive déjà à la conclusion et pourtant j'ai tellement de trucs à dire encore... mais je préfère que vous découvriez le reste par vous-même. Je me suis pris une grosse claque par Resident Evil 4 cette année mais elle était plus ou moins dans le domaine du prévisible alors que là, je suis encore tout retourné de la dimension qu'on fait prendre les développeurs au jeux-vidéo. Pour moi, il y a un avant et un après Killer 7 et il est de ces jeux qui marque de manière indélébile l'histoire du jeu vidéo en ayant apporté une dimension cinématographique encore jamais vue à un tel stade de qualité. Ca frise l'insolence tellement ce jeu peut se montrer autant voire plus pertinent que des grands noms du cinéma. L'expérience globale est tellement cohérente, originale, personnelle et immersive dans son ensemble, gameplay y compris, que l'on peut parler sans-hésiter de pur chef d'oeuvre. Par contre, il est malheureux de constater que le jeu a eu un succès très limité, loin de celui qu'il méritait et je ne peux que regretter cet état de fait de joueurs qui ne laissent pas leur chance à des produits vraiment innovants. Je le conseille donc très vivement aux joueurs mais aussi aux cinéphiles qui auront trouver l'occasion de se réconcilier avec le milieu du jeux-vidéo et à tous les amateurs de bonnes choses. Par contre, ceux qui regardent la Star Ac, écoutent Jennifer en boucle en rentrant du boulot et pour qui le film culte est « Le jour d'après », passez votre chemin, vous risquez de regretter votre achat.
C'est donc mon énorme coup de coeur de l'année et après Resident Evil 4, on voit que Shinji Mikami confirme son statut de grand nom du jeux-vidéo ainsi que Suda51 qui devient le mec le plus barré du paysage vidéoludique.
A consommer sans modération et pour ceux voulant partager leur expérience sur l'aventure, rendez vous sur le forum pour des discussions passionnantes et sans fin autour d'un jeu qui n'est pas près de révéler tous ces mystères.