8/10Sid Meier's Civilization VI

/ Critique - écrit par Jade, le 28/11/2016
Notre verdict : 8/10 - N'apprenons rien et le prochain monde sera identique (Fiche technique)

Tags : civilization sid meier pack nintendo tour civilisation

Pièce maîtresse du jeu de stratégie en tour par tour, Civilization est une série si riche qu'elle doit avoir sa propre encyclopédie in-game pour permettre au joueur de comprendre toutes les règles du jeu au fur et à mesure qu'il joue, si addictive que l'interface dispose d'une horloge en temps réel pour que vous puissiez garder conscience du temps qui passe lorsque vous jouez, et si facile d'accès que votre première partie risque fort d'être votre première nuit blanche devant un jeu vidéo.

Saga mythique créée en 1991, la série des Civilization repose sur un concept aussi simple qu'ambitieux : donner la chance au joueur de choisir parmi l'une des grandes nations ayant foulé cette Terre et la faire perdurer à travers 6000 ans d'histoire. Il devra asseoir sa supériorité en remportant l'une des victoires possibles : victoire par conquête, par assimilation culturelle, par supériorité technologique... Les six jeux Civilization (et les quelques spin-offs qu'ils ont également pu engendrer) sont autant de preuves que l'on peut approcher un même thème de plusieurs façons différentes. Et c'est bien là l'un des intérêts principaux de série. En effet, chaque nouvel opus ne garde que le prémisse de base pour mieux ré-inventer les mécaniques de jeu, changeant par la même occasion la philosophie sous-jacente et l'approche du sujet : avec ses frontières en mouvement constant, Civilization IV se penchait avant tout sur les peuples ; avec ses nombreuses options militaires Civilization V portait l'accent sur la gestion des empires...

...Et Civilization VI se concentrera sur les villes. La manière dont vous organisez vos villes et dont vous régissez votre réseau urbain au sein de vos frontières joue désormais un rôle prépondérant. Pour cela, chaque ville n'est plus un simple point sur la carte, mais une entité qu'il vous appartiendra de développer en quartiers, prenant chacun une précieuse case d'espace dont vous pourriez autrement exploiter les ressources. Qu'il soit militaire, résidentiel, financier, scientifique, chaque quartier apporte la possibilité de construire un certain type de bâtiment, qui changera la dynamique de votre ville de manière significative. Il est impossible pour une ville d'avoir tous les quartiers disponibles. Voilà qui vous obligera à penser vos villes et donc votre empire de manière stratégique, et à prévoir sur le long terme le chemin que vous voulez que votre civilisation prenne. Cette mécanique met clairement l'architecture urbaine au centre de vos choix stratégiques. Plus que jamais, la victoire passe par réflexion approfondie de l'espace et de vos métropoles.


Comme les quartiers, les Merveilles prennent désormais une case de la carte. Vous ne pourrez plus 'spammer' les merveilles jusqu'à la victoire culturelle.

Par delà cette nouvelle approche, Civilization reste Civilization. Avant de commencer à jouer, libre à vous de choisir l'empire que vous incarnerez, suivant vos affinités personnelles bien sûr, mais aussi sans oublier de prendre en compte leurs caractéristiques uniques, telles que des unités militaires ou des bâtiments propres à chacune, ou encore des pouvoirs passifs ou actifs, souvent en lien avec leur histoire. Chaque civilisation est également rattachée à l'un de ses plus grands dirigeants, qui incarnera en quelque sorte l'Esprit de son empire à travers les ages. De manière plus pragmatique, il s'agira aussi de votre interlocuteur lors des négociations diplomatiques tout au long de la partie.


Ne vous fiez pas aux apparences : pacifiste convaincu, si vous le provoquez, Gandhi deviendra plus sanguinaire de tous les leaders.

La partie commence avec un colon et un guerrier, avec lesquels vous établirez votre première ville où vous le désirez, de préférence près d'un point d'eau et de ressources abondantes. A partir des cases entourant votre ville, et en fonction de votre population, vous serez en mesure d'apporter directement à votre ville des points de nourriture pour faire grandir votre population. Certaines ressources permettent d'obtenir des produits de base ou des produits de luxe qui rendront la vie plus facile à vos habitants au fur et à mesure qu'elle grandit. Plus votre population augmente, plus votre ville est capable de produire rapidement. A vous de déterminer ce que chacunes de vos villes produisent : des bâtiments produisant eux-mêmes des points de foi, de culture, de l'argent, des colons ou des ouvriers permettant d'agrandir ou d'aménager votre civilisation, ou bien des unités militaires. La somme de votre production constitue l'orientation à grande échelle de votre empire, qui vous mènera vers l'un des divers sentiers de la victoire.

La capacité à jongler entre la gestion de problèmes infimes tel que l'aménagement du territoire sur telle case (défricher pour y construire un ferme, ou laisser la forêt pour y construire une scierie?) et les problèmes d'ordre politique affectant l'avenir de votre empire entier est de plus en plus sollicitée au fil de l'avancée de la partie. C'est bien évidement que l'élément diplomatique, se mettant en place progressivement jusqu'à devenir fondamental, met en scène les décisions les plus lourdes de portée. Les 'casus belli', qui ne sont pas inconnues des joueurs de la série Europa Universalis, autre référence en matière de stratégie quasi tour par tour, font une apparition remarquée. Chaque déclaration de guerre devra rentrer dans l'une des justifications existantes pour un conflit armé, sous peine de voir la communauté internationale et votre population exulter d'une rage pénalisante pour vos échanges et votre productivité.


Le brouillard de guerre est assez bien stylisé.

Hormis cette innovation, l'aspect diplomatique est sans conteste la plus grande déception du jeu : la victoire diplomatique, par laquelle votre habileté sur la scène internationale emporte votre élection comme maître du monde, a été enlevée. Pire encore, les relations multilatérales, par le biais des Nations Unies, ont été supprimées. Les relations entre Etats se limitent donc aux échanges bilatéraux et aux déclarations de guerres. En outre, la diplomatie est clairement l'un des éléments les moins bien achevés du jeu, à la limite de l'acceptable : au cours de mes parties, il m'est arrivé de me faire déclarer la guerre par une civilisation que je n'avais pas encore rencontrée, ou encore, plus étonnant, par moi-même (!). Une énorme déception pour ceux qui, comme moi, ne conçoivent pas une partie de Civilization sans un jeu complexe de relations internationales. Reste à parier sur un patch correctif pour les divers bugs et aberrations dans un premier temps (peut-être même déjà sorti à l'heure où vous lirez ces lignes), puis sur un DLC payant d'ici un ou deux ans pour rajouter les Nations Unies et une victoire diplomatique.

Malgré ce faux pas assez grave, il faut admettre que Civilization VI arrive à rendre plus accessibles que jamais les victoires 'pacifiques', au détriment de la victoire par excellence : la victoire militaire. Par rapport à la concurrence directe, les jeux Civilization se sont toujours relativement bien débrouillés pour faire de la conquête une option de développement parmi d'autres. Ils ont su remarquablement bien différencier l'essence même de ce qu'est la puissance d'un Etat de sa puissance purement militaire, prenant une dimension géopolitique assez unique. Ainsi construire son armée n'est qu'un choix parmi d'autres, et il est bien vite apparent qu'une civilisation mettant trop l'accent sur la force brute le fera au dépend d'autres atouts tels que la culture ou la recherche technologique.

Ici l'importance de l'armée est également minimisée par le fait que quelques unités stratégiquement choisies peuvent faire déjà beaucoup de dégât, ainsi que le coût relativement prohibitif de l'entretien militaire. Au niveau de difficulté normal, l'ordinateur a une armée relativement petite et l'IA poursuivra beaucoup plus volontiers des voies pacifiques car elles sont tout aussi payantes. La production d'unités militaires est également ralentie par le fait que les ouvriers disparaissent après quelques actions et doivent donc être produits à flux constants pour pouvoir continuellement moderniser les infrastructures de votre civilisation, alors que dans les précédents épisodes vos ouvriers pouvaient durer le temps de toute la partie. Reste à se poser la question de l'intérêt de la construction urbaine. Voir fleurir son empire est-il plus intéressant que d'aller piquer celui des autres ? Voilà une question que chacun pourra se poser au fil du jeu. Il n'empêche que Civilization VI reprend beaucoup de Civilization V, et en l'occurrence son système de combat entre unités, et la gestion de l'armée en général. Ce qui fait que l'option militaire reste possible, d'autant qu'avoir un grand empire n'est en soi pénalisé d'aucune manière.

Par ailleurs, l'on serait à ce stade tenté de noter que cet opus reprend beaucoup de son prédécesseur. L'esthétique, d'une part, reste extrêmement similaire, troquant simplement le design réaliste des leaders pour un style beaucoup plus cartoon, et une palette de couleurs beaucoup plus vives. Il améliore des idées déjà existantes, telles que les choix de gouvernement et d'agenda politique, pour les approfondir et les mettre à sa sauce. L'on pourrait tout à fait argumenter que la grande innovation qu'est la division des villes en plusieurs quartiers découle assez logiquement de la gestion urbaine embryonnaire de Civilization V. Les innovations pures et dures sont plus rares, et à vrai dire discutables : l'interface se veut plus efficace, rendant toute option et information accessible à partir du menu de base, rendant le jeu plus factuel que jamais, mais pénalisant ses aspects plus dynamiques tels que la gestion des unités. Par exemple, il n'y a aucune indication lorsque votre ville peut bombarder un ennemi à sa portée, ce qui demande au joueur de parcourir l'ensemble de son empire à chaque tour pour vérifier visuellement que cela n'est pas le cas. Des détails, me direz-vous, mais autant de constats que la facilité d'accès n'était pas la priorité des développeurs. Ou simplement qu'ils n'ont pas eu le temps de peaufiner leur jeu.


Le nouveau caracter design du jeu a suscité beaucoup de polémique.

Finissons en disant que Civilization VI est un jeu passionnant, qui saura emporter n'importe quel joueur dans un univers d'une richesse incomparable, tout en mettant l'accent sur la facilité d'accès. Le débutant aura accès au mêmes mécanismes que le joueur expérimenté, mais dans une approche purement décisionnelle. Ce n'est que lorsque l'on souhaite se pencher sur une notion du jeu en particulier que l'on prend conscience de la complexité contenue au sein d'une apparente limpidité. L'on accède alors à une position beaucoup plus technique, en s'appropriant des taches que le débutant confierait à l'IA et en s'impliquant dans les détails requis pour l'exécution de ses propres décisions. Réussir à combiner une apparence de simplicité et des concepts en béton armé, voilà ce qui fait le génie de ce jeu, et de la série.

Un succès en demi-teintes toutefois, tant il est évident qu'à l'heure actuelle le jeu n'est pas fini. En termes techniques d'une part : nul doute que des patchs viendront au fil des semaines corriger certaines erreurs, voire rajouter des fonctionnalités simples, notamment pour tout ce qui a trait à la gestion des unités. En terme conceptuel d'autre part, que le joueur averti ne s'y laisse pas prendre : Civilization VI est à l'heure actuelle un Civilization V et demi, reprenant beaucoup trop de son prédécesseur pour que cela ne se remarque pas, d'autant plus dans une série où chaque épisode se doit de faire table rase du passé. Et là encore, une réponse sera apportée, c'est évident, par le biais du prochain add-on.