9/10Wargame: Red Dragon, il était un petit navire

/ Critique - écrit par Guillom, le 28/04/2014
Notre verdict : 9/10 - Fortunate son (Fiche technique)

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Bigre, ça bouge dur en Ukraine. Ça ne m’étonnerait pas qu’un beau jour, les Rouges déboulent sur le périphérique parisien. Dès lors, on distinguera deux types d’individus : ceux qui connaissent le temps de rechargement du canon 125 mm du T80 et les autres. Heureusement qu’Eugen et Focus sont là pour nous rappeler les fondamentaux de la guerre moderne. Après European Escalation et Airland Battle, Wargame revient sur un nouveau champ de bataille, l’Extrême-Orient.

Outre la question de l’addiction au jeu vidéo que s’amusent à décortiquer avec soin médias, philosophes à deux sous et psycho-neuro-podo-pédiatres, une autre problématique, plus confidentielle, agite les créateurs et les joueurs. Le RTS (ou STR, stratégie en temps réel) est-il un genre en voie de disparition ? Regardez ce qu’ils ont fait de Age of Empire, LA licence phare de toute une génération. D’abord un MMORPG (prononcez meuporg) dont les serveurs vont fermer faute de joueurs, puis une… application… mobile… KHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ! KHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN !*

Heureusement, nous n’en sommes pas encore réduits à faire la guerre à la première personne. Pour les généraux les plus exigeants, pour ceux qui veulent dominer la piétaille envoyée au massacre, il reste quelques excellents titres, dont un sorti plus tôt cette semaine. Wargame: Red Dragon se place dans la lignée des jeux  édités par Focus Interactive, à savoir Wargame: European Escalation et Wargame: Airland Battle.



In the Navy.

Commençons par replacer le contexte : dans un passé pas si lointain, la Guerre Froide commence à sentir le brûlé. L’Otan et le Pacte de Varsovie ont cessé de se regarder en chien de faïence et chacun se prépare au conflit. Et BOUM, les bombes, missiles et obus, on se tape tous joyeusement dessus, la guerre ne meurt jamais, et cætera… Ne cherchez pas de scénario dans la série des Wargame, l’histoire sert uniquement à nous replacer dans l’Histoire, à situer les belligérants, les armes et les champs de bataille. Toutefois, il faut reconnaître que les cinématiques précédant chacune des quatre campagnes de Red Dragon sont particulièrement réalistes et permettent de restituer une ambiance très « Guerre Froide ».

Conseil 1 : Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois… mais un radar, c’est mieux

On ne le dira jamais assez, mais la reconnaissance du terrain est primordiale. Combien de fois mes Mig et mes SU se sont fait abattre par des missiles Hawk sans que j’en repère les lanceurs ? Combien de fois les lignes de ravitaillement ennemies se sont trouvées coupées par une seule Jeep embusquée là avant l’avancée de leurs troupes ? Les unités de reconnaissance jouent un rôle essentiel et s’avèrent polyvalentes. Prendre une position, tendre des embuscades ou les déjouer, localiser les forces adverses… Spetnaz, commandos, rangers, hélico et véhicules légers, votre deck peut intégrer un large éventail de spécialistes. Ayez un œil sur tout, partout.

Le premier opus a posé les bases, le second y a ajouté l’aviation. L’action se déroulait dans une Europe séparée en deux, les Coco sur ma droite (ben oui, l’Est de l’Europe sur une carte, c’est bien à droite), les chiens capitalistes à l’Ouest. Ce troisième épisode non seulement  introduit une nouvelle mécanique de jeu (une dimension navale) mais déplace le conflit sur un tout nouveau théâtre d’opérations : la partie orientale de l’Asie. Alors allumez le contact, lancez les rotors et Jimi Hendrix (ou La chevauchée des Valkyries, au choix) à fond la caisse et c’est parti !

Des chars, oui, mais amphibies


Bob, t'es où ?

La plus importante évolution de Red Dragon par rapport à ses prédécesseurs est l’introduction d’unités navales et amphibies. Des colossales canonnières aux rapides patrouilleurs en passant par les corvettes et les barges de débarquement, la marine occupe désormais une place de choix (quoique trop limitée dans les decks) dans la stratégie. Bombardement terrestre, contrôle de zones navigables, défense anti-aérienne ou acheminement de troupes, chaque navire a ses propres particularités et accomplira avec plus ou moins de succès la mission que vous leur assignerez. Par exemple, c’est une (très) mauvaise idée que d’essayer de faire naviguer un cuirassé sur un cours d’eau vers l’intérieur des terres. De même, un patrouilleur aura du mal à s’imposer lors d’un engagement naval comprenant quelques monstres des mers (oui, Udaloy II, c’est à toi que je pense). Car bientôt, la fumée, l’explosion des obus et le staccato des gatlings sera votre unique horizon.

Conseil 2 :  Ah mon batô, c’est le plus grôs des batôs


Parfois la vie fait plouf.

La bataille navale dans Red Dragon ne demande pas d’étudier la tactique. Pas de variation de climat, de récifs ou de tsunamis n’influent sur la bataille. La victoire revient toujours à celui qui dispose de la plus grande flotte, armée des plus gros canons. Vous aurez beau la jouer stratège, en élaborant des plans sans doute très intelligents… si l’ennemi a une meilleure puissance de feu, c’est le naufrage assuré. Donc armez-vous en frégates françaises LaFayette et en destroyers nippons Kongo si vous voulez devenir le maître des mers. Car la domination des eaux rime avec victoire assurée sur terre.

Les unités terrestres ne sont pas en reste, puisque toute infanterie qui se respecte se doit d’avoir son transport de troupe amphibie. Sans parler des chars ayant cette capacité. Dès lors, l’eau n’est plus un obstacle, les ponts ne sont plus des objectifs prioritaires. C’est un style de jeu totalement différent de ce que les Wargame proposaient auparavant. D’ailleurs, certains vétérans de la série semblent un peu en souffrir lors de parties multi-joueurs, là où un néophyte un peu entraîné aux nouvelles mécaniques peut en bénéficier. Ainsi, des vieux de la vieille, qui ont connu le conflit en Europe se trouvent fort démunis quand des petits nouveaux contournent ce pont pourtant stratégique et les prennent à revers. Le jeunot aura bien compris que le milieu aqueux n’est pas une barrière, mais une opportunité de surprendre l’adversaire.

Les nouvelles cartes proposées représentent fidèlement (et en plus c’est beau) le sud-est asiatique, ses rizières et ses canaux, ses bords de mer et ses détroits (pour les batailles navales à proprement parler). Toutes ces nouvelles unités (au nombre de 650 selon l’éditeur) sont particulièrement bien adaptées au terrain. Néanmoins, je vois mal ce que des Jager suèdois viennent faire au Cambodge.

Qu’on ne se voile pas la face, Wargame: Red Dragon est un jeu très exigeant. En maîtriser les mécaniques demande de nombreuses heures. Le didacticiel laisse à désirer, puisqu’il n’est présent que sous la forme de texte. Cela oblige le néophyte à sortir papier et crayon afin de noter les sigles de tel type de munitions, les dangers de tel terrain, les caractéristiques de telle zone… au risque de s’y perdre. Et il ne s’agit pas seulement d’apprendre en livrant combat. Les decks permettent d’étudier chaque unité, son armement et ses capacités. Avec  1400 unités différentes, c’est un véritable travail de fourmi. Mais au final, vous serez heureux de constater l’efficacité de votre stratégie en utilisant des troupes adaptées.

Conseil 3 : Si le napalm ne suffit pas… c’est que vous n’en utilisez pas assez


J'aime l'odeur du napalm au petit matin

Rien n’est plus désagréable qu’une misérable unité de piétons qui vous tient en échec depuis un village abandonné. Rien n’est plus frustrant qu’un véhicule antichar massacrant vos tanks tout en restant bien planqué à l’abri d’un bosquet. Si vous pouvez essayer de les déloger à grands coups d’assauts très conventionnels, au prix de nombreuses pertes et de l’affaiblissement d’une de vos positions, libre à vous. Mais d’autres, plus futés, se découvriront vite une vocation de pyromane. Peu de choses égalent la splendeur d’une bombe de 500kg de napalm, lâchée par un fier F5 de l’armée nord-coréenne, dévastant ladite forêt. Les modérés préféreront l’infanterie et les chars lance-flammes, tels le M132 américain, le bien nommé Zippo.

De nouvelles nations et coalitions viennent enrichir les deux factions en présence. Chine et Corée du Nord pour la Redfor, Anzac (Australie et Nouvelle-Zélande), Corée du Sud et Japon pour la Blufor. Mais on ne s’explique pas l’absence de  factions nord et sud vietnamiennes, qui ne feraient pas tâche dans le paysage. Il est d’ailleurs étrange de retrouver certaines nations européennes. Que font la RDA, la RFA, la Pologne, les pays scandinaves ou encore la Tchécoslovaquie en Asie. S’il est justifié que la Grande Bretagne et la France, de par leur influence et éventuellement leurs possessions coloniales dans la région, y jouent un rôle, difficile de trouver un sens à l’intégration des autres nations européennes sur ce théâtre de guerre.

Quelques moins qui ne gâchent rien au plaisir

Le jeu connaît cependant peu de défauts. On y retrouve les écueils des opus précédents, notamment une IA quelque peu poussive. Qui a demandé à ce très joli Abrams de s’enfoncer dans ce marécage alors qu’une route bien pavée permettait d’éviter l’embourbement ?! Le pathfinding de vos unités laisse à désirer… Par contre, l’ennemi est bien loti de ce côté-là, puisque l’IA s’adapte particulièrement bien aux tactiques mises en œuvre par le joueur et y répond au mieux. Ce qui rend les batailles particulièrement ardues, quitte à décourager les débutants.


Comme à la parade, les gars !

Quant aux graphismes, on est encore loin du photoréalisme avancé par le studio. C’est beau certes, mais pas de véritable claque. Les unités sont finement détaillées, les cartes immenses avec des terrains variés et crédibles, les tirs et explosions bien rendus, mais le moteur Iriszoom Engine 4 est encore loin d’atteindre les capacités maximales attendues. Tant mieux en un sens, puisque tous les joueurs ne disposent pas forcément d’une machine de guerre dernière génération. Puis vient l’interface…. Eugen Système reste sur son principe de base : faire du fonctionnel. Bilan : un manque d’ergonomie  et des commandes « brutes de décoffrage ». Il faudra du temps pour s’y retrouver et comprendre quelle fenêtre sert à quoi.

Conseil 4 : Une licence double A, comme Anti-Aérien

Le pire ennemi de vos avions n’est pas la force aérienne ennemie. Non… les troupes au sol deviendront vite votre pire cauchemar. Bon, pour s’en débarrasser, sonnez la charge : ces unités sont fragiles et souvent placées en retrait de la ligne de front. Mais cela a certains bons côtés, surtout lorsqu’on affronte certaines nations ou alliances qui disposent d’une puissance inégalable dans les airs (oui Otan, c’est toi que je vise). Dès lors, infanterie SAM et autres flakpanzer vous apparaîtront comme un atout indispensable afin de soutenir efficacement le reste de vos troupes. Mon chouchou, le missile soviétique « 9M3 » et tout particulièrement sa déclinaison « 9M3BMI », avec sa portée de 4,5 kilomètres et sa précision mortelle contre tout F15 assez stupide pour s’approcher.


This is the end...

Enfin, on se heurte au plus gros problème des Wargame : l’équilibrage. Jouer une nation seule contre une coalition, ou une coalition contre une faction (Otan ou Pacte) s’avère être un véritable suicide. Heureusement, quelques règles peuvent être établies dans la composition des Decks, en se limitant à une nation ou une coalition, à un type de force (support, blindée, aéroportée…) ou à une époque donnée. Ces restrictions donnent accès à certains avantages, telles qu’un bonus de points ou l’accès à des unités prototypes. Des contraintes peuvent aussi être définies lors de la création de parties multi-joueurs.

Sur le papier, ça sonne bien mais l’équilibre entre nations reste problématique. Un « petit » (Japon, Pologne, Corée du Nord ou du Sud) n’aura aucune chance face aux deux géants que sont les USA et l’URSS, quoique la Chine elle aussi présente un gros potentiel. Certaines unités peuvent paraître complètement « cheatées » (les chars russes en multi : un régal), voire scandaleuses tant elles semblent à la fois destructrices et indestructibles. Même si les développeurs promettent moults ajustements dans les mises à jour à venir, difficile d’équilibrer une telle pelletée d’unités les unes par rapport aux autres.

Peut-on condamner ce jeu parce que les decks Otan ressemblent à un best-of de tout ce que la technologie militaire a fait de mieux dans les années 80 ? Non. Wargame: Red Dragon, comme ses prédécesseurs, se présente comme un modèle de complexité. Certains pourront fustiger cet élitisme, mais n’est-ce pas là tout l’intérêt de cette licence ? Il est assez rare depuis quelques temps qu’un STR propose de véritables challenges, une difficulté sur laquelle on peut pester des heures durant, des défis éreintants qui ne lassent pas. Wargame est de cette trempe : voilà ce qui en fait sa saveur.

 

* Pour les p’tits jeunes qui n’ont pas connu cette âge d’or, une campagne solo (ma préférée) de AOEII retraçait l’épopée du chef mongol Genghis Khan.