Epic Mickey - Test
Jeux Vidéo / Critique - écrit par Nicolas, le 25/11/2010 (Tags : mickey epic disney test wii heros monde
Mickey est toujours aussi pacifiste, même sous la houlette de Warren Spector. Le papa de Deus Ex réussit tout de même son pari en insérant la célèbre souris de Disney dans un jeu à plusieurs niveaux de lecture et de plaisir.
Warren Spector. Ce nom plane sur l'esprit d'Epic Mickey depuis les premières infos révélées, celles-ci datant tout de même de 2008. L'homme est surtout connu pour avoir apporté au monde PC le saint Deus EX, il sera maintenant cité pour avoir été l'homme qui a tenté de faire de Mickey davantage qu'un personnage de jeu de plate-formes bon enfant. Dès les premières images, en 2009, la communauté vidéoludique se prend à espérer, imagine déjà un jeuf Disney plus adulte et plus mature, bien loin des considérations enfantines dont se dote la mascotte de la firme. Quelques semaines avant même la sortie du titre, la teneur réelle du jeu reste encore assez mystérieuse, malgré la grande campagne marketing développée autour et quelques démonstrations réservées à la presse.
Aujourd'hui, 25 novembre, il est temps de savoir : savoir si Mickey peut enfin attirer un public plus âgé qu'à son habitude, savoir si la Wii peut se vanter une nouvelle fois de posséder dans sa logithèque une exclusivité décisive, savoir tout simplement si Epic Mickey méritait que l'on en ai parlé pendant deux ans.
Un soir d'intense créativité, Yen Sid (le fameux magicien de Fantasia) met un coup de pinceau final à sa dernière œuvre, un royaume magique où les personnages oubliés de l'univers Disney pourront écouler de paisibles jours. Profitant d'une absence du magicien, Mickey s'empare du fameux pinceau pour s'amuser, et dans sa grande maladresse, causera du tort à la création de Yen Sid : son grand royaume oublié devient le monde la désolation, un lieu inhospitalier où règne constamment la menace du Fantôme Noir. Mickey se retrouve coincé dans cet univers, armé uniquement du pinceau magique du magicien...
SpectorLand
Avant qu'il ne devienne le monde de la désolation, le royaume magique créé par Yen Sid se destinait à accueillir les personnages rejetés et oubliés de l'univers Disney, les laissés-pour-compte, les inachevés, ceux qui n'ont pas pu bénéficier de la popularité de Mickey Mouse et ses plus prestigieux amis (Donald, Dingo, etc.). Pour ce décor imaginaire, Warren Spector s'est inspiré des parcs à thème Disneyland, reproduisant quelques uns des différents univers que l'on peut y découvrir, parfois même quelques bouts d'attraction. C'est ainsi que Mickey traversera dans sa quête les quartiers Adventureland, Discoveryland, Main Street, et quelques autres, chacun ayant été renommé pour l'occasion. La désolation les a cependant gangrenés, les environnements ont quelque chose de mélancolique, d'altéré, semblent avoir été gagnés par un pessimisme et une tristesse quasiment palpables. Les couleurs sont ternes, sombres, la musique se fait à peine entendre, et les quelques rencontres amicales que l'on fait en ces lieux n'apportent aucune étincelle à la société dont ils font partie. Le premier contact avec ce monde nous laisse un peu sceptique, tellement la vision de Spector ne colle pas à l'univers Disney habituel, et c'est bien en cela qu'il réussit un tour de force. Il bouscule un code établi, imagine le pendant pessimiste d'un monde basé sur la fête et la joie, sa création tient davantage d'un film de Tim Burton dans l'idée, le côté macabre en moins.
Les personnages que l'on y rencontre proviennent tous de vieux dessins animés Disney, et les plus âgés d'entre nous pourront reconnaître quelques têtes familières, comme Horace ou Clarabelle. La plupart ne sont que des reproductions de Dingo ou de ladite Clarabelle, ce que le jeu justifie en les présentant comme des dessins intermédiaires de ces personnages. On pourra également croiser des pirates et des fantômes, mais dans l'ensemble le « bestiaire » des amis de Mickey ne peut être qualifié de très riche. Même remarque pour les ennemis rencontrés, ceux-ci appartiennent à cinq ou six races différentes, hormis les boss (il y en a même un utilisant l'univers de Tron), et ce sera tout.
Le grand patron de ce petit monde, tout du moins avant le Grand Chambardement ayant mené à la désolation, s'appelle Oswald le lapin chanceux. D'un point de vue historique, il s'agit d'un des premiers personnages créés par Walt Disney (1927), celui qui aurait pu devenir le fer de lance de l'empire de l'animation que l'on connaît tous. Le souci est que Disney en a perdu les droits en 1928, et que cet événement a été l'un de ceux ayant débouché à la matérialisation de Mickey Mouse. Dans Epic Mickey, Oswald a tout fait pour posséder ce que Mickey lui a « volé », en témoigne la statue de Walt et d'Oswald en plein milieu d'Osville (reproduction altérée de la célèbre statue de Mickey et Walt que l'on peut admirer aux parcs Disneyland). Il est même allé jusqu'à créer des répliques robotisées de Dingo, Donald, et Daisy. Par le biais de ce personnage, et dans une plus large mesure de tout ceux habitant le monde de la désolation, Spector brasse des pensées légèrement plus matures qu'à l'habitude des aventures de Mickey Mouse. Il nous parle d'oubli et de jalousie, nous présente un monde créé à partir de ces thématiques et une existence nécessairement empreinte d'une forte mélancolie.
C'est pour tout cela que le jeu s'adresse davantage à un adulte, malgré le classement PEGI 7. Non pas qu'un enfant de plus de sept ans ne pourra éprouver du plaisir à incarner Mickey, il est simplement évident que le jeu puise dans la mémoire enfantine des adultes d'aujourd'hui, ceux qui pourront connaître ces personnages aujourd'hui oubliés, qui ont connu le Mickey espiègle de Walt Disney, qui sauront comprendre ce que le jeu véhicule comme valeurs. C'est un peu ce que l'on réclame aujourd'hui au film d'animation : d'avoir plusieurs degrés de lecture possibles pour qu'il puisse s'adresser à la famille au sens large. Le jeu de Spector parvient à trouver le juste équilibre : il est assez divertissant pour un enfant, et thématiquement assez intéressant pour un adulte.
Prendre des couleurs
Epic Mickey se présente comme un jeu de plates-formes 3D tout ce qu'il y a de plus conventionnel. Mickey peut sauter, faire un double saut, et produire une attaque tournoyante pour estourbir ses ennemis. Dans des environnements délimités, le joueur pourra promener son personnage pour en explorer les recoins, remplir des quêtes, ou se rendre directement à la sortie. Rien de bien nouveau donc, tout du moins en ce qui concerne ces quelques bases de gameplay, la nouveauté est ailleurs. La caméra s'installe derrière Mickey, un peu au-dessus, et aura tendance à se replacer de manière hasardeuse, ne manquant pas de faire foirer des sauts sans grande difficulté apparente. Il est néanmoins possible de la recentrer en une pression de bouton, mais globalement, elle essuie les pires difficultés à se positionner correctement et à donner au joueur la juste impression de profondeur.
La grande nouveauté, celle qui justifie la production du jeu, sera donc la principale arme de Mickey : le fameux pinceau magique de Yen Sid. Celui-ci possède deux fonctionnalités antagonistes, il peut répandre du dissolvant ou de la peinture. Si l'on rappelle que le monde a été créé par le magicien à partir de peinture, on comprend instantanément à quoi le pinceau peut servir : Mickey pourra utiliser le dissolvant pour dissoudre des parties du décor, et de la peinture pour le reconstituer. Il ne s'agit évidemment pas de tout le décor, seulement certains éléments ou morceaux que l'on pourra à loisir effacer ou faire apparaître. Le principe parait très simpliste aux premiers abords, et les premiers niveaux ne développent guère cette particularité, mais le concept évolue au fil des tableaux traversés. Il devient alors nécessaire de voir ce que peuvent cacher les pans de mur effaçables, bien faire apparaître toutes les plates-formes, prêter attention aux monstres possédant du dissolvant et comprendre les petites subtilités du niveau. On peut être déçu par la marge de manœuvre laissée au joueur, un peu plus restreinte que ce l'on pouvait imaginer via les communiqués de presse, mais le procédé est accrocheur et plutôt bien foutu, si je peux me permettre. Déjà, parce qu'il n'y a pratiquement jamais une seule façon de surmonter tel ou tel obstacle, à commencer par les monstres. Vous pouvez au choix les dissoudre, les recouvrir de peinture pour les pacifier, ou bien les bloquer derrière un pan de mur ou de sol.
Ce type de choix se retrouve tout au long du jeu sous différentes formes, explicites ou implicites. A de nombreuses reprises, vous aurez l'opportunité de prendre des décisions influant sur le cours de l'histoire, dans des proportions plus ou moins importantes. Le premier exemple qui se présentera à vous donnera la possibilité de libérer un gremlin (petit mécano apportant une aide ponctuelle) ou bien d'ouvrir un coffre à trésor. Cette problématique, plutôt binaire, se dilue dans des considérations où c'est le comportement du joueur qui fera pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Pour autre exemple, le premier grand adversaire du jeu vous demandfera de retrouver son livre de bord et ainsi prouver son innocence au peuple qu'il a dérangé. Si vous avancez nonchalamment sans rechercher activement le bouquin en question, il ne sera pas innocenté et vous devrez l'affronter. A vous de voir de quelle façon vous voulez jouer, soyez un Mickey sympa ou un Mickey pas sympa, aidez votre prochain ou laissez-le dans ses problèmes, effacez le décor ou reconstruisez le avec votre pinceau, vos possibilités ne sont guères illimitées mais il existe une réelle thématique du choix, aboutissant sur plusieurs fins.
D'une certaine manière, Epic Mickey vous oblige à prendre parti, à travers le concept des gardiens. Si vous passez votre temps à utiliser de la peinture, des petites jauges en dessous de votre vie commencent à se remplir, vous octroyant à certains paliers de petites lucioles appelées gardiens, donc. Ces bestioles sont à usage unique, et permettent entre autres d'attaquer / distraire des ennemis, ou bien tout simplement de vous montrer le chemin à suivre. Le concept est similaire pour le dissolvant, mais n'est pas cumulable. Ainsi, si vous alternez constamment l'effacement et le coloriage, vous n'aurez jamais de gardiens - et ceux-ci sont plutôt utiles en cas de blocage. Le principe semble favoriser l'utilisation de peinture (nécessaire pour faire apparaître certaines plate-formes), ce qui s'avère un peu dommage.
Vernissage
La Wii a beau être limitée, l'écrin graphique de Epic Mickey n'a pas à rougir, même s'il est loin d'être fantastique. L'univers développé se voulant terne, les textures s'avèrent plutôt pauvres et assez communes. Rien de bien extraordinaire non plus niveau modélisation, le nombre de personnages non joueurs différents est assez limité comme j'ai déjà pu le faire remarquer, mais sont dotés d'une animation très correcte. Le plus réussi reste encore les phases de transitions entre chaque environnement 3D, celles-ci donnant lieu à de la plate-forme type 2D s'inspirant de vieux dessins animés de la firme. On retrouve ainsi certains classiques comme Steamboat Willie, Mickey and the Beanstalk, The Mad Doctor, transformés pour l'occasion en petit parcours d'obstacles joliment rendus. Il faudra parfois les emprunter plusieurs fois dans le cadre d'allers-retours, mais le désagrément est assez rare et très réduit par la qualité des ces transitions.
A de nombreuses reprises, des cinématiques en dessins animés d'une fort belle qualité viendront ponctuer les rencontres et les aventures de Mickey. Il est assez étrange d'y voir les personnages s'exprimer en onomatopées, laissant leurs lèvres s'agiter sans utilité apparente, mais le dynamisme de ces vidéos et leur grande réussite graphique en font des rendez-vous plutôt agréables à regarder.
Si les temps de chargement s'avèrent quasiment absents d'un monde à l'autre, il existe pourtant un réel problème de rythme dans Epic Mickey. Lorsque Mickey arrive dans une nouvelle zone, le jeu se met en pause et la caméra se balade dans le niveau pour vous le montrer sous plusieurs angles, alors que votre compagnon didactique, Gus, vous explique certaines choses à savoir. En somme, on vous retire une petite partie du bonheur de l'exploration, et l'on vous remet quelques directives pour vous faciliter la tâche. Inutile de dire alors que le jeu devient un peu moins ardu, déjà qu'il n'est pas très difficile à la base. En une dizaine d'heures, peut-être un peu plus, il sera possible de voir la fin en s'occupant quasi-uniquement de la quête principale, ce qui s'avère bien faible. De plus, j'ai pour ma part eu l'impression de perdre un temps incroyable en discutant avec les quelques personnages rencontrés. Pourquoi le jeu perd-il du temps à faire un fondu au noir, changer l'angle de caméra pour afficher une ligne de dialogue inutile, et refaire un fondu au noir ? A force, cette petite transition casse un peu le rythme de notre exploration.
Comme dit tout au long de cette critique, Epic Mickey peut être fini au plus court en ignorant l'exploration et les quêtes secondaires, à cause de sa relative facilité. Certains passages sont certes plus ardus que les autres et la caméra ne facilite pas la tâche, mais son aspect dirigiste et le peu d'agressivité des ennemis compensent ces quelques contretemps. Il n'y a alors pas trente six solutions pour gonfler la durée de vie : il faudra faire les quêtes secondaires. Celles-ci sont plutôt nombreuses, et permettent d'explorer plus en détail chaque environnement mis à disposition. Ce n'est pas ce qui va rendre le jeu plus ardu, mais elles permettent de prolonger le plaisir en détaillant un peu le travail fait sur l'univers et le level design. En les faisant toutes consciencieusement, on doit pouvoir replacer la durée de vie entre quinze et vingt heures, ce qui devient un peu plus respectable. Après, on pourra bénéficier des trois sauvegardes du jeu pour refaire le scénario principal et agir différemment, pour voir ce qui change. Et également en profiter pour essayer de trouver tous les bonus cachés, à contempler dans le menu adéquat (il y a même deux anciens dessins animés).
Conclusion
Au premier contact décevant, Epic Mickey révèle toute sa saveur sur la durée. Son concept est accrocheur, son aventure bien plus subtile qu'il n'y paraît, et le nombre de ses quêtes assure une durée de vie respectable pour le prix de vente. Quelques soucis techniques, un parti pris dirigiste, et un challenge assez menu empêchent le jeu de briller de toute sa splendeur, mais il est indéniable que Warren Spector a su faire de Mickey un personnage vidéoludique de premier plan.