La Légende des Lemmings

/ Dossier - écrit par Islara, le 23/03/2009

Tags : lemmings lemming grizzy lemmus are mammiferes animal

L'histoire complète du légendaire et mythique jeu vidéo, de sa naissance en 1991 à sa dernière édition en 2007. Origines, principe, images, vidéos, consoles, développeurs et piratage.

Il est des jeux vidéos que l'on peut qualifier de référence, de mythique, d'éternel. Traversant les années, puis les décennies, malgré l'évolution exponentielle du progrès technique et a fortiori des consoles de jeux vidéos, ils persistent et signent et se rééditent à l'infini, en général sur tous les supports. Souvent nés d'une idée simple, souvent d'un principe assez basique, tels Tetris ou Arkanoïd (alias casse-brique pour les néophytes), leur simplicité fait leur richesse, leur pérennité et leur succès. Parmi eux, un se distingue, car d'un principe plus sophistiqué, il a néanmoins réussi à se creuser une place parmi les jeux de référence. J'ai nommé Lemmings.

 

Du Lemming réel au Lemming virtuel

Le Lemming réel
Le Lemming réel
Pour ceux qui ne le savent pas, car il fallait quand même y penser, ce jeu est bien originaire du mammifère du même nom, le lemming. Le lemming, ainsi que le décrit le dictionnaire, est un rongeur des régions arctiques d'environ 14 cm au pelage jaune-noir. Les lemmings « effectuent parfois des invasions massives à travers la Scandinavie ; leur colonnes cheminent jusqu'à la mer, où beaucoup se noient [on commence à discerner les similitudes avec le jeu]. Ces exodes, qui surviennent tous les 3 ou 4 ans, ne sont pas suicidaires : en quête de nourriture manquante, les migrants s'engagent dans une fuite furieuse. » (dictionnaire de la langue française, Hachette, 1993). Etonnant à plus d'un titre n'est-ce pas ? Le néophyte doit encore se demander en quoi consiste le jeu après avoir lu ce paragraphe. Il est quand même extraordinaire, et c'est en cela que réside la majeure partie du génie de Lemmings, d'inventer un jeu vidéo et d'en inspirer son principe depuis le mode de vie d'un mammifère ! Certes Sonic est un hérisson, mais il n'a pas grand-chose du hérisson à part son apparence. Alors que le lemming virtuel tient beaucoup du lemming réel.

Le Lemming virtuel
Le Lemming virtuel
Reprenons, pour nous en convaincre, le principe du jeu. Sur un décor de jeux de plate-forme (en 2D), tombent d'une trappe de mignons petits bonshommes à la tunique bleue harmonieusement assortie à leurs cheveux verts. Marchant comme leur « ascendant » en colonnes, ils se suivent sans réfléchir et ne s'arrêtent jamais même s'ils doivent se cogner contre un mur et faire mille fois demi-tour, ou tomber dans l'eau et, comme leur "ascendant" se noyer. En bas de l'écran, s'affiche le but de la mission et les moyens donnés : 8 aptitudes sous forme de mini-fenêtres représentant un lemming en action : un lemming qui creuse horizontalement, un lemming avec un parachute, un lemming qui construit un escalier, un lemming grimpeur, un lemming qui s'arrête de marcher et bloque ses congénères (car n'oublions pas, le lemming, comme son ancêtre, marche toujours), un lemming qui se fait exploser, un lemming qui creuse verticalement, un en oblique. Sous chaque fonction il y a un chiffre (parfois aucun) qui représente le nombre d'aptitudes en réserve. Enfin, s'affichent les 2 dernières informations fondamentales : le temps octroyé pour accomplir la mission et le nombre de lemmings à sauver. Car tel est finalement l'objectif : sauver le plus de lemmings possible (au moins le nombre exigé) en les acheminant vers une porte de sortie qui est bien-sûr en général assez éloignée de la trappe d'où ils sont tombés. Une fois la mission accomplie, lorsque le dernier lemming a crié son youpi ! en se jetant dans l'ouverture salvatrice, apparaît le tableau suivant, nécessairement plus difficile que le précédent. La difficulté réside en des obstacles de plus en plus nombreux qui truffent le parcours jusqu'à la porte de sortie : murs, trous, lave, pièges, feu, chutes...

Presque risible ! Et on se demande encore par quel mécanisme l'inventeur de ce jeu (que l'on le doit au studio écossais DMA Design, fondé par Dave Jones en 1988, racheté en 1996 par Gremlin Interactive puis en 1999 par Take Two devenu aujourd'hui Rockstar North) a eu cette idée. Peut-être les lemmings sévissent-ils aussi en Ecosse et ont-ils causé des dégâts dans les studios de DMA Design... Plus sérieusement, si l'on en croit Mike Dailly, un des créateurs de Lemmings, auteur de "The Complete History of Lemmings", Lemmings est né du jeu Amiga Walker, également développé par DMA Design en 1989. Lorsque les graphistes étaient en train de créer des petits bonshommes sur lesquels les walkers devaient shooter, Russel Kay a ri et s'est exclamé "There's a game in that !"(Il y a un jeu là dedans). C'est aussi lui qui par la suite a utilisé le mot lemmings pour désigner ces malheureux petits hommes initialement aux cheveux bleus.  Pourquoi a-t-il choisi ce qualificatif, cela reste néanmoins un mystère que Mike Dailly ne nous livre pas. 

 

La Recette magique...

Regardez, ils sont sous la pierre qui flotte.
Regardez, ils sont sous la pierre qui flotte.
Mais le génie ne s'arrête pas là. Une bonne idée est une chose. Bien l'exploiter en est une autre et bien des jeux faillissent à cette seconde étape. Force est d'admettre que le développement du jeu est à mourir à la fois de rire, d'énervement et de plaisir. Premier élément particulièrement séducteur : les lemmings eux-mêmes. Ils sont si craquants à voir déambuler presque géométriquement les uns à la suite des autres, si petits et si mignons avec leur charmante chevelure verte qui se balance ; si craquants quand ils finissent de construire un escalier, qu'ils présentent leurs 2 petites mains vides et se laissent tomber vers une mort certaine. Même quand ils se font exploser, alors qu'un élan de compassion nous étreint le cœur, on ne peut s'empêcher d'admirer le magnifique feu d'artifice multicolore qui saupoudre l'écran.

A cette dimension affective s'ajoute ensuite l'ingrédient sonore et musical. Qui pourrait oublier ces mélodies de musiques connues (notamment le french Cancan) revues et corrigées en format midi et qui empoisonnent nos esprits même 10 ans après ? Quel Lemmings-man ou woman n'a pas fredonné inconsciemment (et avec agacement) ces thèmes répétitifs ?

Youpi, youpi, youpi, youpi...
Youpi, youpi, youpi, youpi...
Arrive après l'ingrédient ultime et fatal, le petit cri de victoire des lemmings quand ceux-ci atteignent la porte de sortie : ce « youpi ! » prononcé de façon ultra-aiguë et accélérée, comme si on avait passé une bobine son en avance rapide, est absolument ravageur surtout quand il y a 150 lemmings très rapprochés qui sautent, et qu'on entend alors environ 2 youpi par secondes pendant 30 secondes... Ah petits lemmings, on vous conspue, on vous insulte, on vous hurle dessus tellement vous êtes bêtes et vous nous horripilez, mais on vous aime ! Tout cela n'est certes que fioriture et decorum mais parce que le jeu est bon, cet aspect a priori secondaire est finalement devenu prépondérant.

Car le jeu est vraiment bon. Mine de rien, il faut sacrément réfléchir pour jouer à Lemmings. Les tableaux finissent à la longue par devenir de vrais casse-têtes auprès desquels leurs frères chinois font bien pâle figure. Bon bien-sûr, il faut une gargantuesque réserve de patience devant la bêtise d'un lemming, mais Lemmings n'est ni le 1er ni le dernier jeu vidéo à faire rager son joueur. Il faut par ailleurs de la dextérité pour jouer à Lemmings : placer le curseur sur le bon lemming pour lui appliquer une fonction n'est pas toujours facile car elles sont petites les bestioles (et on n'ose même pas imaginer l'horreur sur les supports à boutons, heureusement que la PS2 bénéficiait du Eye Toy pour y jouer). Gérer plusieurs lemmings actifs placés à des lieux plus ou moins éloignés de l'écran n'est pas simple non plus. Et quand il y a 2 trappes d'arrivée, dont l'une donne sur l'eau, alors rien ne va plus et la souris (ou le stylet, ou la manette ou les boutons ou le Eye Toy) s'emballe. Heureusement, afin de calmer nos nerfs, les créateurs ont ajouté une belle dose d'humour. Les petits commenatires de fin de tableau et surtout les titres de chacun d'entre eux, sous forme de petits commentaires mi-réconfortants mi-sarcastiques (quand il ne s'agit pas d'un indice), ont de quoi nous détendre. Et n'oublions pas que la bêtise du lemmings est tout à la fois énervante et amusante. Intrinsèquement et par son principe, Lemmings est donc déjà drôle.

Enfin, Lemmings, comme tout bon jeu, crée une pulsion addictive : une fois que l'on s'y est plongé, on ne le lâche plus, on y retourne sans arrêt, jusqu'à plus soif, en enchaînant les tableaux avec pour seul but de sauver nos petits copains. La dimension affective créée dans le jeu doit certainement avoir amplifié le phénomène. La variété des tableaux empêche certainement aussi que ne se crée une lassitude. Les décors ont même une influence. Un peu effrayé par les mondes infernaux de lave et de feu, le joueur est inconsciemment plus rassuré dans un monde plus hospitalier, fait d'herbe et de roches, ou de glace et de stalactites.

 

... d'un portage universel et d'un succès décennal

Alors, au final, vu le génie du jeu, il n'y a rien d'étonnant que le portage ait été universel au sens technologique et géographique du terme. La liste sans fin des consoles où il a été édité nous oblige à renvoyer notre aimable lecteur à la chronologie ci-dessous, où l'on constate quand même que la dernière édition ne remonte qu'à 2007 ! Et il y a même des éditions pour les jeux de téléphone portable... Avec le temps, et surtout sur les versions PS, les graphismes déjà très esthétiques, complètement revus et corrigés, ont gagné en précision, en coloris et en netteté.

Le clône de Lemmings version Nintendo, à cause de Sony
Le clône DS de Lemmings version Nintendo,
à cause de Sony.
Certains s'étonneront peut-être que le jeu n'ait pas été édité sur une console pourtant idoine, la DS. Cela est dû au rachat de Psygnosis (l'éditeur originel de Lemmings) par Sony. Celui-ci ne s'est alors pas privé, malheureusement, d'en faire une exclusivité PS. Cette injustice née du stupide combat fratricide entre Sony et Nintendo a eu une conséquence éminemment prévisible : une édition mi-officielle baptisée Lemmings Project, transposition à l'identique des versions Atari et Amiga, a été mise en ligne et est téléchargeable via la cartouche bandit dénommée linker. * Nintendo a néanmoins sorti de son côté un jeu clône qui ressemble aux Lemmings à s'y méprendre : La Marche des Mini. Il n'est pas nécessaire d'en dire plus tant le titre est évocateur.

A noter également que, lors de ses rééditions, Lemmings n'a pas seulement refait ses graphismes mais également évolué et donné des petits : ont vu le jour une extension de 100 tableaux supplémentaires avec Oh No ! More Lemmings la même année, une version avec un mode multi-joueurs, une autre sur le thème de Noël (cf la chronologie en bas de page), une autre encore en 3D avec 3D Lemmings puis Lemmings Revolution...

Vendu à plus de 20 millions d'exemplaires tout support confondu, le succès a été phénoménal. Lemmings, jeu à part, réunit toutes les qualités d'un bon jeu : très grande originalité, dimension affective, humour, réflexion, esthétisme, addiction. A la fois simple et sophistiqué, il nous rappelle qu'ancien n'est pas synonyme de désuet. Bien des jeux disposant des moyens techniques actuels exceptionnels ne lui arrivent aujourd'hui pas à la cheville. Jeunes développeurs, n'oubliez donc pas le génie du passé, il y a toujours quelque chose à en tirer, car le génie est intemporel.


*Nous rappelons à nos aimables lecteurs que jamais nous ne cautionnerons l'usage délictueux qui a vu le jour avec le linker. Le téléchargement à outrance qui est fait des licences officiels, lequel constitue une infraction, s'avère constituer, outre un vol, la négation pure et simple du travail de titans effectués par les développeurs, dont on ne rappellera jamais assez qu'ils sont loin de tous rouler sur l'or. Les arguments avancés par les délinquants ne tiennent pas la route, les moyens d'achat bon marché ou avant les dates de sortie étant légions (échange, occasion, import...) et la DS n'étant pas zonée.


Chronologies par consoles et par jeu

PC - 14/02/1991
Amiga - 1991
Atari ST-STE - 1991
Super Nintendo - 1991, 03/1992 en France
ZX Spectrum - 1991
Megadrive - 1992
Master System - 1992
Lynx - 1992
Game Gear - 1992, 6/12/1994 en France
Amstrad - 1992
NES - 1993
Macintosh - 1993
Commodore 64 - 1994
Game Boy - 1994
CD-I - 1994
Amiga - 1994
3DO - 1994
PS One - 1/11/1995
Saturn - 1996
PS2 - 18/10/2006
PSP - 03/03/2006
PS3 - 23/03/2007

Lemmings - 14/02/1991
Oh No! More Lemmings - 1991
Holiday Lemmings 1993 - 1993
Lemmings 2 : The Tribes - 1993
Christmas Lemmings - 1993
Holiday Lemmings 1994 - 1994
All New World of Lemmings (ou The Lemmings Chronicles) - 1994
Christmas Lemmings 1994 - 1994
3D Lemmings - 31/07/1995
Lemmings Paintball - 1996
The Adventures of Lomax - 1995
Lemmings Revolution - 2000
Lemmings - 2006 et 2007

Liste des développeurs

DMA Design* - Take Two Interactive - Rockstar North
Falcom (NES)
Sunsoft (Super Nintendo)
Team 17 (PSP, PS2, PS3)

*Dave Jones (Amiga), Russell Kay (PC), Gary Timmons (Animations), Scott Johnston(Backgrounds), Mike Dailly, Brian Watson (ST), Brian Johnson (Music+SFX), Steve Hammond (PC EGA/CGA conversion graphique), Tim Write (musique), Tony Williams (musique PC), la mère de Scott Johnston pour la voix des Lemmings.

Editeur : Psygnosis - Sony

Bibliographie

Dictionnaire de la langue française, Hachette, 1993
Wikipedia 
The Complete History of Lemmings, by Mike Dailly (aller en bas de page pour avoir le lien vers l'histoire).